Amin Chaachoo
Al-Andalou représente un symbole de raffinement, de progrès, de science et d’art, une terre d’enchantement et d’imagerie exotique… Sa civilisation, médiévale ibérique et arabe (711-1492), constitue un cas assez particulier dans l’histoire de l’Europe ; si les pays de l’Occident européen ont connu une époque antique, une influence romaine, l’expansion des peuples germaniques, une identité chrétienne, pour, enfin, aboutir à la renaissance et aux temps modernes, la péninsule Ibérique a vécu une expérience de plus, qui a duré plus que toute autre dans son histoire ; Cordoue, Grenade, Séville, Santarem et Tolède furent témoins de l’éclosion d’une des plus brillantes civilisations de l’histoire de l’humanité, où la convivialité entre musulmans, chrétiens et juifs fût exemplaire. Les découvertes, inventions et créations réalisées dans les différents domaines de la connaissance y ont été innombrables et d’une immense valeur. Cordoue, la capitale d’al-Andalou, devint le centre, par excellence, de la connaissance ; étudiants et hommes en quête de savoir se bousculaient pour obtenir une place dans l’une des prestigieuses universités andalouses ; et les grands savants andalous, tels Averroes, Avempace ou Abentofayl étaient étudiés dans les universités européennes.
Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, al-Andalou est conçu comme ayant été un « pays arabe » situé en Occident, une espèce d’annexe de l’Arabie en terre ibérique. Cependant, al-Andalou fut une société, une époque et une civilisation à part, et on ne peut concevoir sa réalité sans tenir en compte, non seulement sa composante arabo-islamique, mais aussi son autre principale identité, l’hispano-chrétienne. Les deux sources se sont embrassées pour forger une nouvelle identité, cohérente et homogène, et qui porte en soi leurs respectives empreintes, empreintes qui se manifestent dans toute la production scientifique et littéraire ; phénomène, par ailleurs, très logique : une aura n’est que la manifestation externe de la source d’où elle émane ; elle doit porter son empreinte ; musique, architecture, littérature et broderie doivent manifester leur source, et une musique qui ne manifeste pas ses sources ne sera jamais un descendant
légitime. Pour cette raison, il est impératif de bien assimiler l’identité de la culture andalouse de façon globale pour bien comprendre celle de sa musique.
On l’appelle musique hispano-musulmane, musique arabo-musulmane, musique arabo-andalouse ou même musique arabe ; toutes ces dénominations sont fréquentes dans les ouvrages spécialisés ; cependant, elles sont déficientes, pour la simple raison qu’elles ne manifestent pas la réalité de la musique andalouse. Une dénomination satisfaisante exigerait la prise en considération d’un ensemble de données historiques, sociales et artistiques propres au contexte de l’élément en question, et, dans le cas de la musique andalouse, il s’agit de l’ensemble des courants musicaux qui ont contribué à sa formation essentielle et qui se maintiennent, d’une façon ou d’une autre, dans son présent. Ces courants sont :
- La musique arabe originaire d’Orient, avec ses influences persanes et grecques.
- La musique péninsulaire autochtone, remontant aux époques antérieures ; musique religieuse et musique profane.
- D’autres musiques de l’époque andalouse : musique byzantine, musique européenne profane et musique grégorienne, entre autres.
Cette globalité d’influences est due au fait que la relation entre les composantes culturelles des différentes factions de la société andalouse n’était pas hétérogène une fois l’osmose sociale réalisée ; une homogénéité culturelle et raciale d’un très haut niveau a eu lieu[1] ; et, dans le domaine musical, son grand artifice fut Avempace, le philosophe andalou du XIIe siècle. Nous avons affaire à une musique hispanique-chrétienne et arabo-musulmane en même temps ; elle est hispanique-chrétienne car la culture ibérique est, d’une part, la base initiale de sa formation et, d’autre part, un élément d’influence permanente. Elle est, en outre, arabo-musulmane, car la musique, la culture et la langue arabes, et l’islam ont profondément imprégné sa formation et son interprétation.
D’autre part, la musique andalouse est une musique savante ; elle est basée sur une théorie musicale rationnelle et intelligible et sur une modalité très exigeante et rigide (je dirais même l’une des plus rigides et rationnelles du monde des musiques modales). Cependant, il ne s’agit pas de l’acceptation du mot « savant » qui fait référence à une écriture et une théorisation souvent très élaborée ; la musique andalouse ne connaît pas de transmission écrite ni – depuis la chute d’al-Andalou – une théorie musicale ; cependant, les moyens de transmission et la conception de fixité varient d’une culture à une autre ; et, dans certains aspects, la transmission orale est plus fidèle que l’écrite ; certains paramètres traditionnels, sociaux et même spirituels ne pourraient être transmis que par l’oralité. Quant à la fixité, elle n’est recherchée que dans certaines traditions musicales ; d’autres voient dans les changements nuancés un dynamisme sain et intrinsèque à la bonne évolution d’une tradition[2]. Finalement, la théorie musicale andalouse, bien qu’actuellement défaillante, n’en reste pas moins présente, de façon latente, au cœur des mélodies. Cette théorie est, nul doute, très élaborée obéissant à une logique bien définie, ce qui confirme le caractère savant de la musique andalouse.
Tenant compte de ce qui a été dit, on se voit en mesure de donner une définition satisfaisante à la musique objet de cet ouvrage :
La musique andalouse est une musique savante, créée par les habitants d’al-Andalou d’identités culturelles chrétienne et musulmane, à partir du XIIe siècle, et héritée par les Maghrébins.
Cette musique, qui a eu la chance de l’accueil maghrébin après la chute d’al-Andalou, se verra, inévitablement, influencée par les nouvelles tendances, goûts et préférences locales. Le nouveau contexte imposera de nouvelles priorités, soit au niveau du goût général, des convictions propres aux musiciens ou du domaine de la théorie scientifique. Cette nouvelle situation a, sans doute, eu des conséquences positives sur la musique andalouse :
1. La conservation du répertoire, par son adoption comme musique propre, très respectée voire sacrée, et, autant que possible, inaltérable.
2. L’enrichissement du répertoire par la composition de nouvelles mélodies dans le style andalou et leur intégration dans le corpus originel. Citons-en quelques exemples :
- Qa´im Wa Niṣf al-Raṣd, par Larbi Sayyar.
- Poèmes composés pour les deux tawšiyyas (mélodies instrumentales) suivantes : tawšiyya de Bassit Ghariba al-Ḥoussayn et tawšiyya de la ṣan`a Ana koulli milkoun lakoum de Qouddam al-Maya, labeur réalisé par Ḥamdoun Ibn al-Ḥaj (m. 1816)[3].
3. La création d’un nouveau genre poétique, support de mélodies, connu sous le nom de Malḥoun / Barwala, inspiré du zéjel andalou.
4. L’intégration de nouveaux instruments, tels ceux de la famille des violons, la clarinette, la harpe ou le piano.
En réalité, la carence de la musique andalouse ne se limite pas à sa théorie musicale ; son histoire officielle est, également, amputée. La plupart des écrits historiques n’en contemplent que l’élément arabe, et les auteurs considèrent que les musiciens d’al-Andalou (Avempace, Ibn al-Ḥasib, etc.) étaient des Arabes de race et de culture, c’est-à-dire portant une identité exclusivement arabo-orientale. Cette exclusion des identités non arabes et cet orgueil excessif envers la composante arabo-islamique, même si illégitimes, ont leur raison d’être ; d’une part, les Andalous utilisaient le concept d’ascendance arabe comme prétexte pour légitimer leur pouvoir ; les Arabes, « purs » de race, et dont la lignée remonterait aux premiers musulmans, voire même aux grandes figures de l’époque préislamique, devraient avoir un privilège sur les autres citoyens andalous. Le premier émir omeyyade, Abderrahmane I (VIIIe siècle), al-Moutamid de Séville (XIe siècle) et d’autres utilisèrent cet argument, renforcé par des écrits qui glorifiaient la généalogie arabe (par exemple, Jamharat anssab al-`arabe d’Ibn Hazm).
D’autre part, la période de conservation de la musique andalouse (après la chute de Grenade en 1492) coïncidera avec d’autres faits qui vont marquer à tout jamais les relations entre la chrétienté et le monde islamique. Au-devant de ces faits, il y a l’influence des Croisades, qui ont eu lieu presque à la même époque que les conquêtes chrétiennes d’al-Andalou : la première conquête importante fut celle de Tolède en 1085 par Alphonse VI, les Croisades débuteront en 1095. Les Croisades s’achèveront vers 1291 et les conquêtes d’al-Andalou en 1492. Il s’agit, en somme, de quelque deux siècles de confrontation entre deux populations, définies principalement par leurs religions et leurs appartenances culturelles, des confrontations communes à l’Occident et à l’Orient. À cela, si on ajoute d’autres faits comme la nouvelle croisade, bénie par Alexandre VI en 1494[4], la prise de Mélille par les Espagnols en 1497 – acte qui accomplit la volonté de la Reine Isabel de Castille de coloniser l’Afrique et de propager la véritable foi sur cette terre d’infidèles – et les conquêtes de Mazalquivir et d’Oran en 1509, on comprendra la gravité et l’ampleur des conséquences. Ajoutons l’occupation de Sebta, les attaques espagnoles aux ports maritimes maghrébins au XVIe siècle[5], les confrontations navales entre les rois d’Espagne et Solimane, empereur Ottoman, la conquête de Tripoli (1511-1551), de Djerba (1510-1520, 1560), de Tunis (1535, 1573, 1574), de Bizerte (1573-4), de Malte (1565), de Modon (1572), de Lépante (1571), de Coron (1534), etc. Tous ces faits vont s’étaler au long des XVIe et XVIIe siècles, afin d’étendre l’hégémonie maritime, celle du règne de Carlos V face à celle de Salim I.
Tout cela finira par créer un climat de frustration et de haine dans les sociétés arabo-islamiques, haine partagée, pour des raisons analogues[6], par les chrétiens occidentaux. L’Occident a, historiquement, refusé la civilisation d’al-Andalou, il l’a considérée comme étant un intrus dans le développement de la civilisation européenne et a voulu interpréter tous les acquis de cette civilisation comme un simple plagiat de la science et de la connaissance grecques ; Felipe Pedrell, suivi de plusieurs spécialistes comme Manuel Fernández-Nuñez, ont nié toute influence arabe (andalouse) sur la musique chrétienne de la péninsule Ibérique. Même Julián Ribera, défenseur, par excellence, de cette influence (dénommée thèse arabe), a dit :
Après tout, cette musique [l’andalouse] dérivait de celle des peuples chrétiens de l’Orient, desquels les musulmans l’ont apprise ; de telle façon qu’Alphonse le Savant, en l’acceptant, ne faisait que renouer, de manière indirecte, les relations avec les civilisations classiques et chrétiennes.
Dans ce contexte de déformation de l’histoire de la musique andalouse, il faut aussi rappeler que, quand les musulmans y ont débarqué, la péninsule Ibérique n’était point un désert aride, dénué de peuples, de cultures, de coutumes, de goûts et de musique. Les Arabes n’y auraient-ils écouté aucune musique autochtone ? N’y résidaient-ils pas ces groupes humains qu’on surnommera plus tard les mozarabes et les mouladis, c’est-à-dire les natifs péninsulaires? Ces derniers, à l’époque andalouse et dont le nombre était d’entre sept et huit millions[7], figurant entre eux un bon nombre de savants, d’artistes, d’intellectuels et d’hommes d’État (les beni Bono, Abdellah Ibn Vivax, Abou Othman Ibn Leon, Ibn Corral, Ibn Salvador)[8], auraient-ils oublié les mélodies et les airs de leurs ancêtres en se convertissant à l’islam ? Les chrétiens mozarabes d’al-Andalou auraient-ils cessé de chanter leurs chansons et de réciter leurs poèmes durant toute la période andalouse ? Par ailleurs, les créateurs de la musique andalouse auraient-ils été tous arabes de race et de culture, complètement isolés de leurs voisins hispaniques indigènes, et ceci des siècles durant, à l’abri des goûts, courants musicaux et airs des anciens natifs de la péninsule Ibérique ? Voisins hispaniques qui, d’ailleurs, étaient, racialement, majoritaires, sur une terre qui a connu des millénaires d’histoire, de culture et de civilisation. Rappelons simplement que, selon la relation faite par les ambassadeurs du Royaume d’Aragon au Pape Clément XI, en 1311, d’entre les 200.000 habitants de Grenade, il n’y avait pas plus de 500 sujets de race arabe, et tous les autres étaient des descendants de chrétiens[9].
Continuons notre raisonnement, qui se voit renforcé par tous types de données : les goûts de tous ces nouveaux musulmans se seraient-ils complètement métamorphosés ? Comment prétendre ce changement radical et cet isolement total entre les goûts et les tendances artistiques arabes d’une part, et hispaniques locaux, d’autre part ? En Orient, les musiciens arabes n’ont-ils pas été influencés par la musique non arabe ? Rappelons le cas d’Ibn Sourayj et ses rapports avec la musique persane, le cas d’Ibn Mouḥriz et ses relations avec les mélodies persanes et byzantines. La Coupole du Rocher, en Palestine, ne puise-t-elle pas la nature de son architecture de l’art byzantin ? Les arts, en général, des premiers temps de l’Islam n’ont-ils pas été enrichis par ceux des sociétés sédentaires du Proche-Orient ? Cette affirmation se voit encore plus renforcée quand on réalise qu’au commencement de l’ère andalouse (VIIIe siècle), la culture arabe n’avait pas encore atteint le niveau de civilisation qui sera atteint aux IXe et Xe siècles ; elle ne pouvait donc s’imposer par la force de son poids.
Répétons-le : la musique andalouse se soumet à la réalité de son peuple créateur ; d’origine ibérique, elle comporte de fortes composantes arabo-islamiques ; une musique qui manifeste la capacité historique des Andalous à assimiler différentes composantes en un tout cohérent, produisant un système intelligible et, identitairement homogène, à l’image de la réalité sociale d’al-Andalou. Blas Infante, père de la patrie andalouse, a exprimé la même idée à un niveau plus global : ” [] les Andalous n’avons jamais cessé d’être ce que nous sommes réellement, euro-africains, hommes universalistes et synthèse harmonique d’hommes »[10].
Qu’en est-il de l’idiome des Andalous, ou, plutôt, des idiomes ? Pourquoi la musique andalouse ne se chante qu’en langue arabe et ses dérivées ? En fait, si cette musique ne conserve aujourd’hui que ses poèmes en langue arabe et ses dialectes, c’est parce que les langues romanes des Andalous ne font pas partie de la réalité linguistique du Maghreb postérieur. Les Maghrébins se sont, progressivement, débarrassés des poèmes et des vers qui utilisent les dialectes des « mécréants européens », de ceux qui « les ont chassés de leurs terres ». Pour cette raison, l’immense nombre de poèmes bilingues existant à al-Andalou (kharjas et autres) sont, actuellement, totalement absents des chansonniers andalous conservés au Maghreb. Ce phénomène d’épuration linguistique est très commun, et même la péninsule Ibérique l’a souffert dans le cas de la poésie galicienne, qui a été éliminée des poèmes qui mélangeaient galicien, castillan, aragonais et catalan, à cause de la non-compréhension de cet idiome[11]. Comment les Maghrébins auraient-ils pu comprendre, assimiler, chérir et s’identifier à des poèmes de ce genre ?
alba quee stá kon bi-al-fogore
ou
ya mama tanto lebo
La légitimité d’établir une histoire de la musique andalouse qui prend en considération la composante occidentale classique et médiévale s’appuie aussi sur le fait que la musique occidentale postérieure à l’époque hellénique se caractérise par un développement propre assez isolé et introverti, suivant une logique grecque assez homogène dans toute l’Europe[12], ce qui confère une grande force à la tradition musicale européenne, en général, et hispanique, en particulier, chose qui lui permit de subsister et de s’imposer à l’époque andalouse, malgré l’importance indiscutable de la tradition musicale arabo-islamique contemporaine aux faits.
Pour toutes ces raisons, nous disons que les thèses favorables à l’influence arabe, comme celle de Ribera ou celles contraires (Felipe Pedrell, Manuel Fernández-Nuñez, Higinio Anglés, etc.) sont déplacées de leur juste contexte. Quand Fernández Núñez dit au sujet de deux exemples de musique traditionnelle espagnole[13] : « La deuxième chanson est plus en accord avec les modes arabes. Cependant, elle ne s’adapte pas à l’échelle orientale (il lui manque la seconde augmentée) et ne comporte pas de sixte augmentée, assez patente dans les modèles de mélodies arabes », il confond la musique arabe orientale, ses caractéristiques intervalliques et ses tendances, avec l’andalouse, qui utilise, majoritairement, la modalité médiévale occidentale. Sa défense de ce type de modalité dans la musique populaire espagnole aurait été justifiée et en harmonie avec l’idée de la même connexion entre la musique andalouse et la modalité médiévale s’il avait eu conscience de ce fait, en cette première moitié du XXe siècle.
Dans ce même contexte, la musique chrétienne médiévale à la péninsule Ibérique n’a pas été fortement influencée par la musique arabe, malgré le grand poids d’influence d’al-Andalou dans nombreux domaines de la connaissance, car, justement, la musique andalouse n’était pas purement arabe et l’influence ibérique y était grande. De cette façon, les Cantigas de la Sainte Marie n’étaient pas influencées par la musique d’Orient, mais tout comme la musique andalouse, elles puisaient leur identité de différentes sources communes, locales et orientales.
Le mode musical et la théorie andalouse
Actuellement, l’une des lacunes les plus profondes qui existent dans le domaine de la musique andalouse est celle d’une définition au mode musical andalou. Le mode andalou (ṭab`) est différent de l’arabe oriental (maqam), ainsi que de l’occidental moderne ; le mode andalou a émergé de sa propre réalité, celle d’une musique modale médiévale et dont les caractéristiques obéissent à la logique de l’époque. La recherche d’une définition pour ce type de modalité nous rappellera un autre vide aussi grave, celui de la théorie musicale ; aussi surprenant que cela puisse paraître, la musique andalouse ne possède aucune théorie musicale dans l’actualité (à part celle proposée par nous dans nos ouvrages), et la recherche historique démontre que cette dernière a été absente tout au long de ces derniers siècles. Les musiciens ont interprété cette musique sans en cerner les lois, ne se basant que sur leur instinct et leur goût pour guider le jeu et l’assimilation des mélodies. La raison de cette absence est bien logique : d’une part, les Andalous émigrés au Maroc n’ont pas pu sauvegarder leurs écrits théoriques, détruits par l’inquisition espagnole, ou par le chaos propre à l’expulsion forcée et, généralement, brusque. On peut comprendre comment les Arabes orientaux ont pu conserver nombre de leurs écrits médiévaux (al-Kindi, al-Farabi, Ibn al-Mounajjim, etc.) et les Européens occidentaux, également (Saint Augustin, Boèce, Aristide Quintilien, Saint Isidore, partitions aux points juxtaposés avant l’an mil, tonaires, etc.)[14] ; ni les premiers ni les deuxièmes ont été chassés de leurs terres. Cependant, les dépositaires de la musique andalouse ne détiennent aucun écrit musical théorique de l’époque andalouse ; à part quelques documents assez insignifiants telle la Risala fi al-alḥan[15] d’Avempace, tout ce dont ils disposent actuellement c’est de quelques allusions à la vie musicale et à quelques épisodes, intégrés dans les ouvrages d’histoire ou de littérature (cet état rappelle celui de la musique grecque des siècles antérieurs à Platon et à Aristote[16]). D’autre part, les Marocains, héritiers de ce patrimoine, n’ont pu récupérer la théorie musicale andalouse, pour les raisons suivantes :
- La civilisation marocaine n’a pas atteint le niveau acquis par celle d’al-Andalou. Il y a manqué une profondeur d’études suffisante pour cerner la musique andalouse dans son aspect théorique.
- Les siècles de guerre entre chrétiens et musulmans, soit à al-Andalou, soit en Orient, ont façonné pour toujours la regrettable relation entre la chrétienté et l’Islam, comme déjà dit : ce fût une relation de haine qui a rendu les Andalous totalement hermétiques à la reconnaissance de toute contribution de la composante chrétienne dans la création de la civilisation andalouse ; pourtant, cette reconnaissance est une condition nécessaire pour pouvoir déchiffrer convenablement la musique des Andalous. Le débat aurait été stérile à cette époque (comme il l’est toujours aujourd’hui, malheureusement).
Comme aspect positif, si les Arabes d’Orient ont conservé leurs ouvrages théoriques, et non pas leurs anciennes mélodies, les Andalous ont hérité de centaines de mélodies qui se veulent de l’époque andalouse ; ceci fait que la matière première pour l’étude de la théorie de la musique andalouse existe toujours, c’est le corpus des nawbas.
Tétouan, 29 mars 2019
[1] LEVI-PROVENÇAL É, La civilisation arabe en Espagne. Vue générale, Maisonneuve, 1948, Paris, p. 13.
[2] La transmission de la musique indienne s’est toujours opérée de façon orale. Nul doute que cette musique est savante. Voir: « Les Cultures Musicales dans le Monde », AUBERT Laurent, in Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. 3. Musiques et cultures – Direction : NATTIEZ Jean-Jacques, p. 53.
[3] D’autres travaux de composition ont été réalisés par Larbi Ouazzani, Driss Benjelloun, Othman Tazi, entre autres.
[4] LEÓN Juán Africano, Descripción general del Àfrica y de las cosas peregrinas que allí hay, Junta de Andalucía & Consejería de culture, 2004, Grenade. Introduction de S. Fanjul, p. 21.
[5] Citons aussi les grandes expéditions de Pedro Navarro (1509-1511).
[6] “Los moriscos en el mundo mediterráneo de los siglos XVI y XVII”, Miguel Ángel de Bunes Ibarra, in Los moriscos y su legado, desde ésta y otras laderas – Coordinateurs: Fatiha Benlabbah & Achouak Chalkha, p. 68.
[7] SÁNCHEZ ALBORNOZ Claudio, La España musulmana según los autores islamitas y cristianos medievales, t. 1, Librería y Editorial “El Ateneo”, 1946, Buenos Aires, p. 291.
[8] SIMONET Francisco Javier, “Influencia del elemento indígena en la cultura de los moros del Reino de Granada”, in Congreso Científico Internacional de los Católicos, celebrado en Bruselas en Septiembre de 1894, Segunda edición, Imprenta de la Misión Católica, 1895, Tanger, p. 51 et 52.
[9] SIMONET Francisco Javier, Historia de los mozárabes de España, t. 3, Ediciones Turner, 1903, Madrid, p. 788.
[10] Traduction de l’auteur.
[11] R. LANG Henry, Cancioneiro gallego- castellano: 1350-1450. University Press, 1902, New York, p. 104.
[12] FUBINI Enrico, La estética musical desde la antigüedad hasta el siglo XX, Alianza Música, Alianza Editorial, 1990, Madrid, p. 23.
[13] MANZANO Miguel, “Una cuestión sobre música popular de tradición oral en ‘la ciudad de dios’: Las canciones populares y la tonalidad medieval”, in symposium « La música en El Escorial », 1992, San Lorenzo del Escorial, p. 4. Traduction de l’auteur.
[14] VIRET Jacques, B.A.-B.A. Musique médiévale, Éditions Pardès, 2005, Grez-sur-Loing, p. 71.
[15] Manuscrit conservé dans la Bibliothèque Bodléienne de l’Université d’Oxford.
[16] FUBINI Enrico, La estética musical desde la antigüedad hasta el siglo XX, Alianza Música, Alianza Editorial, 1990, Madrid, p. 27.
Bonjour
Article très intéressant mais certains noms et certaines citations notamment de noms de poèmes sont incompréhensibles pour moi.notamment :
Ben yâ sahhârâ
alba quee stá kon bi-al-fogore
k(u)and bene bide amore
ya mama tanto lebo
de al-wa’di de al-bugag
da’i hagra man qati’
fa-al-qat’u fî samag
est ce que ce sont des poèmes en langue espagnole, en langue arabe ? sont ce des mouwachahates ou des zadjal ?
y a t il une possibilité d’en avoir une transcription en caractères arabes ?
encore merci pour ce travail et pour votre réponse.
Abdellatif BENOSMAN
Bonjour monsieur Benosman,
ce sont des poêmes billingues. Monsieur Chaachoo le dit aussi dans son article si haut. ces poêmes étaient souvent transcrites en caractères arabes, après la reconquiesta en caractères latins.
Monsieur Chaachoo a mentionné dans son livre souvent ces poêmes mais sans donner malheureusement aucune traduction, ce qui est dommage!
Je vous encourage à chercher dans l´internet avec les expressions suivantes MUDEJAR, KHARJAS, AL KHAMIADO…
Article en rapport avec le thème : https://brill.com/view/journals/ihiw/8/1/article-p128_6.xml?language=en
Bonne chance